Ubu(s)
Mise en scène et scénographie : Joëlle Noguès
Dramaturgie : Pauline Thimonnier
Musiques : Camille Secheppet et l’Orchestre processioni et paradi
Avec : Polina Borisova, Giorgio Pupella
Environnement sonore et régie : Nicolas Carrière
Régie lumière : Myriam Bertol
Production : Compagnie Pupella-Noguès
Coproduction : Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes de Charleville- Mézières
Alfred Jarry s’ennuyait au théâtre. Aux acteurs qui l’empêchaient de rêver, il préférait l’âme mystérieuse des marionnettes. Archétype du tyran inspiré de Macbeth, Ubu, avec sa Gidouille sur le ventre, sa démesure grotesque, ouvre la voix à Dada et au surréalisme, car « l’ordre est le plaisir de la raison mais le désordre est le délice de l’imagination »
L’Ubu de Pupella Noguès est un cochon qui tient sa conscience enfermée dans une valise et s’empiffre sur l’immense scène de banquet autour de laquelle s’affairent les manipulateurs, (bientôt contaminés par le groin…). En écho à ses turpitudes pantagruéliques, les voix d’artistes (pique-assiettes ou invités d’honneur) : Boulgakov, Borges, Char mais aussi Desproges, Angelica Lidell… disent leurs appétits et leurs dégoûts face à la machine à décerveler, la parodie du pouvoir.
À la table du pouvoir
Qu’ils jouent carte sur table ou qu’ils fassent table rase, chaque homme de pouvoir dresse sa table avec les mets de son choix et dicte les règles, les normes et les conventions, de leurs dégustations. Système symbolique du pouvoir, la table sera au centre de notre réflexion : nous y convoquerons la figure sanguinaire et débonnaire d’Ubu pour voir comment il s’en empare et ce que sa dictature y imprime ; nous y inviterons des artistes qui, entre pique-assiettes et invités d’honneur, exprimeront leurs appétits ou leurs dégoûts face à ce qu’on leur sert et exposeront ainsi les diverses manières qu’ils ont de se nourrir (de vomir ou de mourir) à la mamelle du pouvoir.
À propos d’Ubu(s)
Quel que soit le régime politique dans lequel ils évoluent, les artistes et les hommes de pouvoir entretiennent des relations complexes d’interdépendance qui peuvent devenir problématiques, voire inextricables. Nous interrogeons ces liens en axant notre réflexion sur la situation paroxystique de la dictature, afin de mieux saisir les diverses postures artistiques qui peuvent se déployer face au pouvoir. Au plateau, deux « appariteurs » conscients que, par l’acte créatif, l’homme se dote d’une arme critique, se demandent comment ils agiraient face à un pouvoir dictatorial. Auraient-ils le courage de s’y opposer ? Quels moyens mettraient-ils en œuvre pour y résister ? Et à quel prix ? Conserveraient-ils leur intégrité artistique, leur dignité ?
Le plateau se fait laboratoire d’expériences : le Père Ubu et ses acolytes évoluent dans un espace clos qui, tel un échiquier miniature, s’offre comme le champ des combats possibles.
Face à cette zone de combats, les voix de convives mettent en regard, sous forme de citations textuelles, picturales ou sonores, des réflexions d’artistes.
Extraits sonores d’après :
Le mouvement futuriste italien, A.L.Huxley, K. Mann, M. Boulgakov, J. Korczak, G. Bernanos, J.L. Borges, L. Campion, R. Char, P. Desproges, E. Kusturica, T. Lanoye, A. Liddell, O. Py…
Presse
Les marionnettes ne passent pas la main !
Hélène Combis-Schlumberger, France Culture au Festival Mondial de Charleville Mézières
« Ubu(s) », par la compagnie Pupella-Noguès : pas de texte et une seule marionnette, pour revisiter un classique de la littérature dramatique. Le décor est étonnant : au plafond, de part et d’autre d’un écu rouge vif portant un aigle, plusieurs ampoules et divers chandeliers électriques.. Au centre de la scène, une table avec riches porcelaines et reliefs de banquet.
On ne trouvera ici que quelques marqueurs évoquant la truculence de Jarry. On y verra l’ascension vers la dictature d’un personnage apparemment bien inoffensif : un cochon, sympathique au premier abord, et cependant … omnivore. On assistera au service zélé des petites mains (ici les manipulateurs de marionnettes) qui lui faciliteront innocemment la tâche … Un spectacle juste, fort, et beau, avec une scénographie et une manipulation impeccables, par les Pupella Noguès, ces artistes référents du monde de la marionnette. Un spectacle qui s’adresse aux grands ados et au tout public, pour s’interroger sur l’histoire et le présent, et sur ce qui fait notre humanité. Un travail d’orfèvrerie ! Un univers poétique, drôle, et… implacable.
Si l’œuvre célébrissime fait ici place au silence ou aux simples échos par bribes, si la foule de ses grotesques est ramenée à portion congrue (une marionnette et deux manipulateurs-personnages), le nerf de la pièce et son esprit affleurent continuellement, comme un puissant sous-texte de référence. C’est bien là que nous en sommes avec l’œuvre d’Alfred Jarry, non ? Comme le trio métaphysique de Beckett, la figure grotesque d’Ubu (1896, rappelons-le) a été promue au rang d’archétype, sinon d’oracle, par un siècle d’obscénités en matière de totalitarisme.