Rabab
Mahtab Mokhber
Je suis entourée de femmes oubliées. De femmes presque invisibles mais toujours
présentes, pleines d’histoires jamais racontées et leurs rêves, très simples, jamais réalisés.
Des êtres vivants qui n’ont jamais vécu ou qui n’avaient pas le choix de vivre autrement –
leur vie et leur destin déjà décidés par la suprématie masculine et des motifs sociales
construits, répétés à l’infini. La plupart des femmes qui m’entourent, y compris toutes mes
ancêtres, ont été amenées à répéter les mêmes schémas: devoir se marier pendant
l’adolescence, faire le plus d’enfants possible, les élever, s’occuper de tous les aspects de la
vie familiale tout en restant « sages » et « obéissantes » aux hommes de leurs vies, puis
s’évanouir progressivement et mourir. Ce sont des femmes dont l’existence se réduit à
jamais en un ventre pour nourrir l’institution sacrée de la famille.
Ces déesses immémorées, soufflent leur essence vitale et leur vie dans le monde. Elles nous
donne naissance, nos raisons d’être et parties fondamental de ce que nous sommes. Elles
croisent lentement comme des nuages. Elles apparaissent et disparaissent. Comme si à
chaque petit geste de leur quotidien, à chaque mouvement, elles s’enfonçaient un peu plus
dans l’oubli. Et bien qu’ils aient été poussés à croire qu’il est doux de sombrer dans cette
mer, ce n’était qu’une mirage.
Mes grands-mères n’ont jamais vraiment eu l’occasion d’étudier, de lire, de voyager, de se
questionner, de désobéir, de se révolter, de vivre autrement. Comme leurs mères, et les
mères de leurs mères, et ainsi de suite. Elles étaient des femmes simples que l’on pouvait
croiser au bazar à faire les courses, et qui cachaient derrière leur tchador aux mille petites
fleurs, des remords, des rêves jamais vécus et des désirs jamais prononcés.
Le prénom de mon arrière-arrière-grand-mère était Rabāb. Le Rabāb est l’un des plus
anciens instruments à cordes de la famille du luth, originaire d’Afghanistan et d’Iran, etc.
L’utilisation du mot en langue persane fait principalement référence à l’instrument, qui
souvent se rapporte à un chant triste. Il existe pourtant à ce mot un sens bien moins connu
dans l’oratoire arabe; “le nuage blanc”.
Rabāb devient pour moi tous les chants que les femmes aient jamais chantées. Elle devient
aussi ce nuage blanc flottant dans le ciel. Un majestueux passage doux et léger, presque
magique. Une masse divine, venue de l’autre monde, avec cette qualité de lente
transformation jusqu’à disparition.
Ma grand-mère, petite-fille de Rabāb, était une femme saine et pleine de vie jusqu’à il y a
quelques années. Elle a tenu son rôle de mère jusqu’à la fin de son état conscient. Sa plus
grande joie de vivre était ses enfants et petits-enfants et quelques voyages de pèlerinage
qu’elle a faits. Telles étaient les limites désignées de ses rêves légitime