Compagnonnage 2024_Avant Averse_Insomniaques_Photographie tirailleurs sénégalais

Mise en scène : Lou simon
Dramaturgie : Lisiane Durand et Lou Simon
Interprétation : Clémentine Pasgrimaud et Arnold Mensah
Scénographie : Cerise Guyon
Création musicale et sonore : Mariama Diedhiou
Création lumière ; Romain le Gall Brachet
Conseils dramaturgiques : Karima El Kharraze
Production et diffusion : Laurent Pla Tarruella

Laurent et Jean-Louis habitent à Rouen.
Laurent est infirmer à l’hôpital de Rouen, Jean-Louis est prof d’histoire à la retraite. Jean-Louis dit qu’être professeur d’histoire, c’est avoir raté le concours pour être enquêteur. Laurent est insomniaque, et il a une lubie : il collectionne des photographies de Rouen pendant la Seconde Guerre mondiale. Jean-Louis représente l’Amicale française au Comité International de Mauthausen. Ils travaillent ensemble depuis quelques années sur la ville de Rouen pendant la Seconde Guerre mondiale.
Un jour, ou plutôt une nuit, Laurent trouve sur Internet, dans un des nombreux albums de photos allemands légués par les anciens soldats de la Wehrmacht déployés en France, une photo qui l’interpelle : des hommes noirs en uniforme, à Rouen, dans une charrette. Il en parle à Jean Louis : ensemble, ils se rendent compte que cette photo est liée à un massacre de Tirailleurs Sénégalais en 1940…

La compagnie

En juin 2020, la compagnie Avant l’Averse est née de l’envie de raconter des fragments de réel avec des outils marionnettiques. Le travail s’organise autour de la scène comme lieu propice à observer les manières dont le monde est habité, construit, pensé. Nous aimons parler des endroits où se rencontrent le quotidien, le politique et le philosophique. Le processus de création est proche du théâtre documentaire : il s’agit de laisser la place à un éclat du réel, pour pouvoir le regarder avec d’autres yeux que ceux du quotidien. Dans la compagnie Avant l’Averse, le langage marionnettique est revendiqué comme choix d’expression principal : la mise en scène se crée à partir de l’image scénique, de l’inanimé et de la matière en mouvement. Nous tendons à toucher tous les publics. Un premier spectacle sur les drones militaires, Sans humain à l’intérieur, a été créé en septembre 2021 au Festival Mondial des Théâtres de Marionnettes à Charleville Mézières.

Note d’intention

Je suis la petite fille de Michel, résistant du réseau Hector dans le Perche et déporté à Mauthausen entre 1943 et 1945. Toute ma famille est impliquée, de près ou de loin, dans le travail de mémoire de la déportation. J’ai rencontré depuis que je suis toute petite des anciens déportés, des veuves, des enfants de déportés, qui racontent. Des gens toujours très actifs dans la transmission de la mémoire, pour des raisons communes et individuelles, politiques et psychologiques.

L’écoute de ces récits, de ces paroles, est toujours un moment très particulier pour moi. Cela me fait une grande impression, je suis réceptive et en même temps extrêmement active : c’est vivant, c’est dans le présent, c’est comme s’il y avait de la vibration, dans l’air et dans les corps. Parce qu’ils ne ressassent pas : il ne s’agit jamais d’une intention de conserver le passé et le récit du passé tel quel, pour simplement archiver et stocker de l’information. Si archives et traces sont primordiales, si les récits du passé sont au cœur d’une démarche qui leur demande une énergie et un temps énormes, c’est parce que la mémoire est un outil pour le présent.

La mémoire est un travail politique familial, familier pour moi. J’ai grandi avec des récits, des lieux, des objets liés à la Seconde Guerre Mondiale. Mais cette histoire-là, celle des massacres de Tirailleurs Sénégalais par les nazis dans les années 40, je ne la connaissais pas : on ne me l’avait jamais racontée, ni dans ma famille, ni à l’école. Comme si cela ne nous concernait pas. Des historien-nes ont bien entendu travaillé sur les forces coloniales et sur la vague de massacres de 1940, mais cela n’était jamais parvenu à mes oreilles, et à Rouen, rien n’avait été fait.

La constatation de mon ignorance a beaucoup résonné en moi avec les résultats des dernières élections, et la montée de l’extrême-droite fascisante en France et en Europe. Je pense que la mémoire est ce qui nous permet de faire des liens, de faire du sens, de poser des repères, de prendre en compte la complexité du monde dans lequel nous vivons. Avoir la mémoire courte, c’est extrêmement dangereux pour le présent. Et à force de ne pas interroger notre capacité à oublier, nous oublions de regarder les autres dans toute leur humanité.

Je pense que la scène est un lieu propice à questionner, à éclairer : c’est comme un laboratoire où le politique et le sensible peuvent se rejoindre pour mieux penser les zones d’ombres, les zones vers lesquelles nos yeux du quotidien ne daignent pas regarder. Il faut raconter cette histoire parce qu’il faut se demander pourquoi cette mémoire-là n’est pas (suffisamment) transmise ; et dès que cette question surgit en vient une autre : pourquoi cette mémoire nous est-elle nécessaire ? Quel rôle a-t-elle pour construire le présent ? Quels points de repères pose-t-elle ?
Notre spectacle s’inscrira dans la transmission de cette mémoire.

LOU SIMON